La taupe

Délits de mineurs.

Chaque année, au début et à la fin de l’hiver, de nombreux crimes affreux de lèse-gazon sont commis. Des petits monticules de terre apparaissent scandaleusement au milieu de nos pelouses vertes (et monospécifiques) entourées de cyprès magnifiquement taillés à l’équerre. Les amateurs de vert uniforme voient rouge et rient jaune.

Insensibles à l’émotion qu’elles produisent, les coupables continuent de creuser avec ardeur leurs galeries. Quelles sont donc les motivations qui les poussent à ces délits répétés ? C’est qu’elles sont amateurs de vers, elles aussi : c’est même leur nourriture quasi-exclusive. Une gourmandise qui leur est d’ailleurs fatale, puisque le sable contenu dans les vers use prématurément leurs dents ; faute de dentiste disponible, elles meurent après 3 ans, alors que le reste de leur organisme est encore au taupe ! Elles prennent pourtant des précautions, puisqu’elles évident le ver avant consommation, en le pressant comme un tube dentifrice.

 

Or donc, au début de l’hiver, les vers s’enfoncent plus profondément dans le sol pour atteindre des terres plus meubles (vous avez déjà essayé, vous, de vous forer une galerie dans un sol gelé ?). C’est donc le moment pour la taupe de quitter ses galeries de surface désertées par son gibier favori, et de réactiver ses galeries profondes : réparer les effondrements et élargir un peu son réseau. Cela permet de tenir le coup encore quelques semaines avec de la chair fraîche, mais il vient un moment où il faut faire appel aux provisions : des centaines de vers dont elle a délicatement mordillé la tête, ce qui les immobilise, mais ne les tue pas. Et pourquoi donc ne pas hiberner dans ces conditions ? Parce qu’elle est calibrée pour ses galeries et ne peut donc jamais se permettre de prendre du poids.

 

Les taupes sont des animaux farouchement solitaires : chaque individu vit dans son réseau de galeries (à peu près 250m) qui couvre un territoire de 500 à 2000 m2, suivant la richesse du sol en vers (les prairies pâturées et les forêts de feuillus sont les lotissements les plus recherchés). Mais, malgré tous les progrès de l’informatique, la reproduction virtuelle n’existe pas encore et il faut bien surmonter pour un temps son dégoût de l’autre. Le mâle va donc répondre à l’appel (la taupe, si elle est à moitié aveugle – à quoi lui servirait une bonne vue dans ses galeries ? – est par contre extrêmement sensible aux vibrations) de la femelle ; appel pressant s’il en est : la dame impatiente n’est réceptive que pendant 30h, vers fin février. Il s’agit donc de se grouiller et de foncer (sous terre) en ligne droite vers le domaine de la belle. Le forfait accompli, on rentre immédiatement chez soi.

Les 4 bébés taupes grandissent très vite et, début juin, la mère les fiche dehors. Ils partent alors – en surface -  à la recherche d’un logement existant et rendu libre par le décès de son occupant. C’est la période la plus dangereuse de leur existence, et peu y survivent.

La taupe est un animal protégé dans plusieurs pays, dont l’Allemagne. Il est utile par l’aération de la terre qu’il effectue à grande échelle. Des graines enterrées depuis des dizaines d’années ont soudain la chance de germer au sommet des taupinières. Faire appel à un taupier pour se débarrasser de cet animal gênant est non seulement anti écologique, mais aussi tout-à-fait inutile et temporaire : un réseau de galeries inoccupé attirera un nouveau locataire à la génération suivante. Il n’y a pas de sot métier, mais il y a de sots clients.