Les dermaptères

Les lecteurs assidus de ce dossier (y en a-t-il ?) consacré aux principaux ordres d’insectes s’étonneront avec raison de la présence des dermaptères dans cette série. Je ne cache pas qu’en sélectionnant cet ordre, j’y ai mis un maximum de mauvaise foi : l’ordre ne comporte en effet au Scheutbos qu’une seule espèce : le perce-oreilles commun (Forficula auricularia) ; mais elle y est abondante, et ses mœurs la rendent extrêmement sympathique.

Un peu d’étymologie d’abord. Les dermaptères doivent leur nom au fait que leurs ailes postérieures, pliées comme des parachutes en-dessous de leurs courtes élytres (ailes antérieures durcies), ont l’aspect d’une peau fine : derma (peau) ; pteron (aile). Ceci dit, bien qu’il soit capable de voler, le dermaptère préfère nettement la marche. Le nom commun du genre – perce-oreilles -  provient de la présence au bout de l’abdomen d’une paire de cerques durcis qui lui servent de défense (peu efficace), mais surtout d’organe de parade nuptiale ou de maintien des proies occasionnelles ; ces cerques sont en forme de tenaille chez le mâle (plus droits chez la femelle) et évoquent l’outil de bijoutier qui servait anciennement à percer les oreilles. Curieusement, les langues anglaise (earwig : perruque d’oreille) et germanique (oorworm : ver de l’oreille) donnent aussi à penser que ce pauvre forficule est un obsédé de l’exploration des tympans ; rassurez-vous : il n’en est rien.

 

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Forficula auricularia femelle (photo Aramel)

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Forficula auricularia male (photo Aramel- P.Falatico)

Le perce-oreilles est un animal nocturne. De jour, il se cache dans un endroit humide comme une crevasse, dans le terreau, dans une fleur, sous une écorce, à l’ombre d’une branche ou d’une feuille (on le récolte souvent en secouant des branches de feuillus). Ils est omnivore et pas vraiment regardant concernant  la fraîcheur des produits : animaux et plantes, vivants ou en décomposition ; sa friandise préférée étant le puceron, il compte parmi les auxiliaires utiles au jardinier, en plus de son rôle de recycleur dans les écosystèmes.

Septembre est la saison des amours forficuliennes. Monsieur agite ses forceps en l’air et les utilise pour caresser, puis saisir Madame. Celle-ci ne semble pas très impressionnée par cette débauche gestuelle, puisqu’elle continue à vaquer à ses occupations durant l’accouplement, traînant Monsieur (bien plus concentré sur la tâche) derrière elle. Parfois, un autre mâle vient éjecter le premier et le remplace, sans provoquer le moindre émoi apparent chez la femelle. Le sperme est stocké dans une poche interne de la femelle, en attente des beaux jours.

La femelle creuse alors un nid dans la terre, à quelques mm de profondeur, et y passe l’hiver en diapause (ce n’est pas un spectacle de photos reposantes, mais un arrêt du développement que l’on trouve chez beaucoup d’insectes). Le mâle y est parfois toléré, mais alors il est éjecté à la fin de l’hiver, au moment de la ponte d’une cinquantaine d’œufs. La femelle fait alors preuve d’un instinct maternel peu courant chez les insectes : elle retourne les œufs périodiquement et utilise ses pièces buccales pour débarrasser les œufs de tout champignon ou candidat-hôte indésirable ; à l’éclosion, elle nourrit les jeunes larves en régurgitant de la nourriture. Toutes les bonnes choses ont cependant une fin : les larves le savent, puisqu’elles désertent le nid après leur première mue, évitant ainsi d’être mangées par leur mère dont l’appétit commence à étouffer l’instinct maternel. Les larves sont adultes et capables de procréer 3 mois après l’éclosion. Et un nouveau cycle commence…

 

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Il faut quand même que je vous parle d’un petit côté négatif des forficules : dans leur arsenal de défense, en plus des cerques, ils disposent de glandes secrétant un liquide nauséabond qu’ils projettent à quelques cm en cas de danger perçu. Prudence donc lorsque vous les manipulez…